Hello les amis, j’espère que vous allez bien 🙂 on se retrouve aujourd’hui pour un nouvel article.
Le livre et l’auteur
« Nous avons autre chose à faire qu’à penser à des réjouissances. Il faut d’abord vivre! » p. 95 cette phrase résume bien l’état d’esprit des personnages de l’oeuvre Les Bouts de Bois de Dieu de Sembène Ousmane face à la grève qui a été déclenchée en raison de la non satisfaction des revendications des cheminots. J’irai dans les détails plus bas.
En reprenant rapidement la présentation que nous en fait l’éditeur, Sembène Ousmane, est un écrivain et cinéaste sénégalais né en 1923. En 1947, après avoir quitté Dakar, il met le cap sur Marseille où il travaille et se syndique afin de militer pour plusieurs causes dont l’arrêt de la guerre en Indochine et l’indépendance de l’Algérie. Il se lance ensuite dans l’écriture en 1956 et est également le chef de file du cinéma africain. Il a été récompensé pour ses films tels que La Noire de… en 1966 et Moolaadé en 2005. Sembène Ousmane décède en 2007 après avoir reçu les insignes de la Légion d’honneur en 2006.
Je n’ai jamais eu l’occasion de visionner aucun de ces films et pourtant Sembène Ousmane est l’un des grands noms du cinéma Africain. J’espère un jour pouvoir me rattraper.
Le livre fait 415 pages environ et est publié chez Pocket. Personnellement, je trouve la couverture très belle 🙂
Alors, l’histoire qui se passe en 1947, entre Bamako (capitale du Mali), Dakar (capitale du Sénégal) et Thiès (autre ville du Sénégal) retrace la grève des cheminots de la ligne Dakar-Niger (petite erreur sur la quatrième de couverture ci-dessus qui en soi ne pose pas de soucis vu qu’aucune action n’est décrite au Niger).
Ceux-ci réclamaient essentiellement de meilleures conditions de travail ainsi qu’un traitement équivalent entre cheminots Blancs et Noirs (prise en charge en cas de maladie, allocations familiales). En bref, une certaine reconnaissance des droits des travailleurs sans discrimination raciale. Le mouvement a pour leader Ibrahima Bakayoko, un personnage instruit, qui dirigea les opérations à distance un temps avant d’intervenir sur le terrain. Celui-ci est d’ailleurs détesté par les colons.

Les colons de l’administration voyaient ce beau monde comme de « grands enfants » qui avaient besoin d’être guidés, ne pouvaient rien faire sans eux et qui faisaient beaucoup trop d’enfants pour avoir droit aux allocations familiales par exemple. Ainsi s’engagea une lutte sur le long terme pour la reconnaissance des droits des travailleurs avec diverses conséquences telles que la famine, des décès, de la trahison, parfois même de la violence pour faire pression sur les populations.
Bamako est la ville de Ibrahima Bakayoko, lieu où débute la grève. Dakar la ville « moderne », siège des institutions et Thiès, centre de régie des chemins de fer.
Mon ressenti
Personnellement, ce n’est pas tellement l’histoire de la grève qui m’a marqué. Certes, elle a été menée tambour battant et sans relâche mais pour moi, ce fut une sorte de trame de fond avec un intérêt plutôt pour les divers événements de la vie courante qui l’ont émaillé ainsi que pour les réflexions qu’ils suscitaient.
En premier, je pense à Niakoro Cissé, la mère de Ibrahima Bakayoko et Ad’jibid’ji, fille adoptive de ce dernier, instruite étant donné qu’en plus d’aller à l’école, elle est fourrée dans la bibliothèque de son père. Elles soulèvent toutes les deux dès les premières pages du livre un point que je nommerai « conflit de générations ».
Je m’explique: par rapport à la grève, la vieille Niakoro s’indigne du fait que les jeunes de nos jours ne cherchent plus à savoir l’avis des Anciens avant de se lancer dans une entreprise. Ensuite, vient Ad’jibid’ji qui non seulement ose lui répondre et lui parler en toubabou, terme Ouolof ou Wolof (langue nationale du Sénégal) qui désigne indifféremment dans l’œuvre autant la langue des Européens que ces derniers (origine du terme « babtou ») mais lui donne l’impression de n’avoir rien à cirer de ses obligations de femme au profit de l’instruction.
Cette façon de faire que de témoigner du respect à ses Aînés est quelque chose de très ancrée dans les diverses Cultures Africaines. Le fait de s’enquérir auprès des Anciens avant une action, ne pas répondre lorsqu’on nous parle, baisser la tête sont des choses courantes. Nous sommes éduqués sur ce modèle. En soi, je pense que nous pouvons être reconnaissants de la façon dont les choses sont faites mais parfois ce système n’est pas toujours équitable dans la mesure où on aimerait se défendre, donner notre avis, se faire entendre et faire les choses comme on le sent. Je ne dis pas qu’il ne faut plus écouter ses aînés mais un véritable dialogue de temps en temps ne ferait pas de mal.
Ensuite, Niakoro Cissé, soulève un autre point vraiment intéressant lorsqu’elle s’énerve contre Ad’jibid’ji qui parle français, qui n’est autre que rares sont les toubabous qui maîtrisent les langues autochtones des pays Africains alors que des Africains polyglottes, il y en a des masses 🙂 : « Depuis ma naissance – et Dieu sait qu’il y a longtemps – je n’ai jamais entendu dire qu’un toubabou ait appris le bambara ou une autre langue de ce pays. Mais vous autres, les déracinés, vous ne pensez qu’à ça. A croire que notre langue est tombée en décadence! » p. 21. P.S: Le bambara est une langue du Mali.
En effet, aujourd’hui, un Africain lambda parle au moins 2 langues, la sienne plus celle du colonisateur. Et malheureusement, avec l’occidentalisation de l’Afrique et l’immigration vers l’Europe, l’Amérique, je crains que nos langues ne finissent par disparaître petit à petit Nombreux sont les jeunes africains nés ailleurs que sur le continent qui ne savent pas parler un seul mot de leur langue maternelle. Il est impératif de les protéger et d’assurer leur transmission mais la tache semble difficile. C’est la tâche qui nous incombe, nous les jeunes de la nouvelle génération.
Par la suite, on tombe sur N’deye Touti, qui pour moi a soulevé une question que je nommerai « conflits de cultures ». N’deye Touti a à peu près le même profil que Adji’bi’dji, si ce n’est qu’elle est plus âgée. Elle va à l’école à Dakar, est instruite et est la promise de Ibrahima Bakayoko en tant que seconde épouse. Cette dernière, en étant confrontée aux comportements de certains de ces compatriotes, se retrouve à songer que la Culture du colon est peut-être meilleure. Elle rêve de pouvoir vivre dans les quartiers chics comme ceux des colons et quitter la misère de sa concession.
Pour illustrer mes propos, voici deux extraits que je ne pouvais pas ne pas mettre:
- » (…) Un jour, s’étant trompée de programme, elle était entrée dans un cinéma où l’on projetait un film sur une tribu de Négrilles. Elle s’était sentie rabaissée au niveau des ces nains et avait eu une envie folle de sortir de la salle en hurlant: « Non, non! ce ne sont pas de vrais Africains! » (…) p. 107-108.
- « (…) En fait, N’Deye Touti connaissait mieux l’Europe que l’Afrique, ce qui, lorsqu’elle allait à l’école, lui avait valu plusieurs fois le prix de géographie. Mais elle n’avait jamais lu un libre d’un écrivain africain, elle était sûre d’avance qu’une telle lecture ne lui aurait rien apporté. (…) » p. 108.
Ce n’est pas quelque chose de rare en Afrique que de voir des jeunes plus attirés par le monde occidental que par leur continent. Et qui justement en savent plus sur le premier que sur le deuxième. Ceci est également fort dommage. Je pense qu’on se perd lorsqu’on perd sa culture. Un adage dit bien « Lorsqu’on ne sait pas d’où on vient, on ne sait pas où on va » ou quelque chose dans le genre. Et malheureusement, c’est ce qu’il se passe avec nous, les Africains.
Notre Histoire et notre Culture ont été bafouées et réduites à du « folklore » par des années d’esclavagisme et de colonisation. L’Afrique avait une histoire avant cette période mais aujourd’hui, on ne parle de l’Afrique que comme si elle n’avait jamais connu de périodes de gloire. Se relever est assez difficile étant donné l’importance de la transmission orale chez nous (cf mon article sur Contes Initiatiques Peuls de Amadou Hampâté Bâ ). Et cela favorise justement cet intérêt vers l’Occident puisque beaucoup pensent qu’il n’y a rien chez nous. Seul un travail personnel de recherches et d’investigation permet de restaurer toutes ces richesses perdues.
Pour finir, un mot pour toutes ces femmes qui ont joué un rôle non négligeable dans cette grève. De Ramatoulaye (à Dakar), à Penda, en passant par Maïmouna (toutes deux de Thiès), leurs efforts pour assurer de l’eau et de la nourriture aux enfants des concessions durant l’absence de leurs hommes, leur détermination face aux forces de l’ordre des colons et leur soutien sans failles aux grévistes jusqu’à organiser une marche leur permettant de les rejoindre à Dakar au départ de Thiès, sont à saluer.
Dernière remarque, j’ai trouvé Ibrahima Bakayoko, qui est censé être le leader du mouvement un peu absent physiquement tout au long du récit. Ceci n’empêche qu’il est cité plusieurs fois et que les choses se font selon son avis.
Voilà, cet article est terminé. Encore un autre « must-have » de la Littérature Africaine selon moi. Je pense qu’il y aurait encore pas mal de choses à dire sur ce livre mais je donne ici les points qui m’ont marqué. Si jamais vous le lisez ou l’avez lu, pensez à partager vos réflexions, notamment sur les diverses problématiques que j’ai soulevé tout au long de l’article. On n’a jamais fini de découvrir ni d’apprendre 😉
L’achat, c’est par ici . A Lomé, toujours les points de vente habituels (Librairie « par terre »; Librairie Bon pasteur et Librairie Star).
A bientôt pour un nouvel article, profitez bien de l’été. Bisous.
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