Le livre et l’autrice
Naïma est descendante d’un harki. Mais elle ne sait pas exactement ce que cela veut dire ni ce que cela implique. Hamid, son père a dû grandir plus vite que prévu et a dû apprendre à naviguer entre sa culture natale et celle adoptive. Ali, le patriarche, grand-père paternel de Naïma s’est retrouvé confronté au choix entre la loyauté envers sa patrie naissante et la protection de sa famille au moment où les tensions entre la France et l’Algérie atteignaient leur paroxysme.
Sur trois générations, Alice Zeniter retrace l’histoire coloniale de l’Algérie au cours du siècle dernier et ses répercussions jusqu’à nos jours.
Editions : J’ai Lu
Pages : 608
Alice Zeniter est une romancière, dramaturge et metteuse en scène née en 1986 en France d’un père d’origine Algérienne (Kabyle précisément) et d’une mère Française. Elle a commencé à écrire à l’âge de 16 ans.
L’art de perdre, son quatrième roman, publié en 2017 lui a valu plusieurs prix dont le Prix Goncourt des Lycéens et le Prix Littéraire du Monde la même année. Elle vit actuellement en Bretagne. (Sources : quatrième de couverture et Wikipédia).
Mon ressenti
Un bon moment de lecture. La narration est faite à la troisième personne, en trois parties, correspondant chacune aux histoires d’Ali, d’Hamid puis de Naïma. La plume est vive, ironique à certains moments mais résolument engageante avec parfois l’impression d’être pris à témoin par l’autrice, pour constater les dégâts et l’absurdité de l’entreprise coloniale ou encore les tourments intérieurs de ses personnages.
Ainsi, en ce qui concerne le fond, on fait d’abord la connaissance d’Ali, un Kabyle des montagnes du Nord de l’Algérie, ancien combattant dans l’armée des Alliés lors de la seconde guerre mondiale, qui fera fortune dans le commerce de l’huile d’olive à son retour au pays. Il menait une existence relativement paisible avant que la situation ne commence à s’envenimer entre la France et l’Algérie naissante à cause des mouvements de résistance de plus en plus virulents contre l’administration coloniale.
Avec lui, il est question de l’absence de « bon choix » dans certaines situations (être tué par les partisans du FLN* s’ils coopèrent avec les Français ou être emprisonné par les Français s’il va avec les membres du FLN) ; la perte de ses racines, de son patrimoine et l’exil dans un pays qui promet au départ de vous traiter comme ses citoyens mais qui n’en fait rien ; la découverte de l’administration Française, le travail à l’usine et les situations humiliantes qui peuvent en découler et enfin la douleur de voir ses enfants s’éloigner de leur culture d’origine pour adopter celle du pays qui les a recueilli.
Au fil des pages relatant sa vie, Alice Zeniter retrace certaines étapes clés de l’histoire Franco Algérienne au cours des années 60 avec la violence de la colonisation, le mépris et la démesure des représailles que peuvent vivre les peuples colonisés lorsqu’ils essayent de se rebeller ; mais aussi la lâcheté de cette puissance coloniale qui n’assume pas les conséquences de ses actes et qui abandonne ses « sujets » une fois qu’elle a eu ce qu’elle voulait.
La seconde partie suit les traces de Hamid, fils aîné d’Ali qui devra grandir plus vite que prévu et qui vivra une réelle inversion des rôles, devenant le guide de ses parents analphabètes dans cette nouvelle société, un peu comme lorsqu’on tient la main à un enfant qui fait ses premiers pas. Il découvrira le racisme systémique de la société Française ; la nécessité de devoir fournir plus d’efforts que ses pairs Caucasiens pour être traité de la même façon qu’eux ; la difficulté de naviguer entre deux cultures n’ayant rien en commun ; l’éloignement progressif avec sa culture d’origine et la volonté de s’émanciper du cadre familial et de l’autorité paternelle. Il préférera se créer une nouvelle identité, plus « acceptable » aux yeux des Français, allant jusqu’à refuser de transmettre un quelconque héritage culturel à ses enfants.
Enfin la troisième partie, nous emmène dans le quotidien de Naïma, née et ayant grandi en France, ignorante de tout au sujet de l’Algérie (rien d’étonnant puisque son père est fermé sur le sujet comme une huître). A travers elle, Alice Zeniter met en avant la quête d’identité que peuvent vivre les descendants d’immigrés qui se sentent Français mais qui sont renvoyés à leur origine par cette même société qui les a pourtant vu naître. Il est aussi question de la souffrance que peut générer cette absence d’informations sur ses origines ; les traumatismes des parents et de comment ceux-ci les reportent sur leurs enfants sans le savoir.
Ali et Hamid m’ont particulièrement touché. Etant étrangère moi-même sur le sol Français et ayant déjà côtoyé d’autres Etrangers, je me suis reconnue dans certaines situations qu’ils traversaient. Naïma m’a moins marqué. C’est sa partie que j’ai le moins apprécié, la trouvant un peu « déconnectée » justement de son histoire familiale et fuyante. Cela dit, c’est difficile de lui en vouloir dans la mesure où son père a préféré fermer la porte sur son histoire plutôt que de la transmettre à ses enfants.
En somme, je recommande. Alice Zeniter a réussi à retranscrire avec brio plusieurs années d’histoire en proposant des personnages dont on se sent proche. N’hésitez pas à vous rendre en librairie ou à la bibliothèque pour vous le procurer. Je finirai cet article avec ce passage :
« Ce que nous disent plus de cinquante ans de dessins et de peintures, c’est qu’un pays n’est jamais une seule chose à la fois : il est souvenirs tendres de l’enfance tout autant que guerre civile, il est peuple comme il est tribus, campagnes et villes, vagues d’immigration et d’émigration, il est son passé, son présent et son futur, il est ce qui est advenu et la somme de ses possibilités. » p. 603.
Sur ce, je vous dis à bientôt. Dans l’intervalle, prenez soin de vous.
Bisous.
* : Front de Libération Nationale.



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