Le livre et l’auteur
Avec son prénom d’homme et sa cicatrice à la joue, Abderahaman passe rarement inaperçue. Victime de la guerre et ayant perdu ses proches, elle est animée par le farouche désir de se venger des Janjawids, terribles mercenaires qui lui ont volé sa vie.
Aux côtés d’autres personnages comme Shikiri, Ibrahim et la tante Kharifiyya, c’est le tableau d’un Soudan meurtri et déchiré par la guerre civile et ses retombées, que Abdelaziz Baraka Sakin nous livre.
Éditions : Zulma.
Pages : 204.
Abdelaziz Baraka Sakin est né au Soudan en 1963. Diplômé en gestion, il a exercé plusieurs métiers au cours de sa vie avant de commencer à écrire au début des années 2000. Alors qu’il reçoit le prestigieux Prix Tayeb Salih en 2009 pour son roman The Jungo – Stakes of the Earth, l’État Soudanais le censure à partir de 2011 et lui demande de ne plus écrire, raison pour laquelle il s’exile en Autriche.
Le Messie du Darfour paru initialement en 2012 est traduit pour la première fois en France en 2016. Récemment traduit en français, Les Jango a reçu le Prix de la Littérature Arabe en novembre 2020. (Sources variées : Wikipedia, Babelio, Le Point).
Mon ressenti
Intéressant. Pour une première immersion au Soudan, ma lecture fut plutôt déroutante. Le récit est construit en 16 chapitres et contrairement à la 4e de couverture qui met essentiellement en lumière le vécu d’Abderahman, on ne suit finalement pas qu’elle mais aussi Shikiri, Ibrahim, la tante Kharifiyya et ce fameux Messie dont on ne saura jamais l’identité réelle. L’auteur passe d’un personnage à un autre en revenant sur le parcours personnel de chacun d’entre eux afin d’expliquer comment ils en sont arrivés où ils étaient. Ainsi, par moment, l’on peut se sentir perdu mais le ton employé pour narrer l’histoire vous pousse à aller jusqu’au bout de votre lecture, à la recherche d’une sorte de compréhension de l’ensemble du tableau.
En ce qui concerne le fond, je vais être assez courte. Je savais qu’il était question de guerre au Soudan, notamment au Darfour, mais ne me suis jamais penchée dessus pour en comprendre les origines. Avec le texte d’Abdelaziz Baraka Sakin, j’ai découvert le conflit qui opposait les Fours aux Arabes Musulmans de la région, le tout sur un fond de manipulation politique visant les intérêts d’une poignée de personnes haut placées. Les descriptions sont crues et peuvent facilement choquer. Cependant, avec son œuvre, l’auteur dénonce justement les atrocités et les conséquences en lien avec tout conflit, menant à des déplacements de populations, à l’utilisation du viol comme arme de guerre (exemple d’Abderahman), ou encore à l’avenir brisé des jeunes enrôlés de force pour aller au front alors qu’ils souhaitaient juste vivre une vie la plus normale possible. Il expose également comment la violence engendre la violence, où les victimes peuvent elles-mêmes finir par se transformer en bourreaux.
Abderahman est prête à tout, même à user de son corps comme appât, pour faire tomber les Janjawids entre ses mains afin d’en finir personnellement avec eux. Shikiri qui finira par l’épouser aura un peu de mal à s’y faire au départ mais pour moi, il deviendra un peu comme ces hommes qui n’arrivent pas à refuser quelque chose à leur compagne. Ibrahim, quant à lui cherchera sa place en vain jusqu’au dénouement final et tante Kharifiyya, ayant également perdu beaucoup dans les affrontements, sera un peu celle qui tentera tant bien que mal de dissuader Abderahman de ses projets de vengeance.
Dans ce climat de tension et d’incertitude, l’arrivée de ce fameux Messie symbolisera une forme de lumière au bout du tunnel, un espoir de paix pour ces populations meurtries par les affrontements. Néanmoins, c’était assez perturbant parce que les descriptions faites du Messie et des personnes qui lui étaient proches ressemblaient étrangement à celles de Jésus Christ et de son vécu que l’on retrouve dans les Évangiles. Coïncidence ou volonté propre de l’auteur ? Je ne saurai le dire, d’autant plus que la confirmation de l’identité de ce Messie ne se fera jamais vraiment et ce jusqu’à la fin du récit. L’histoire se termine d’une drôle de façon avec un certain goût d’inachevé pour ma part.
En somme ce fut une lecture plutôt complexe. Mes recherches sur le net m’ont fait tomber sur certaines déclarations de l’auteur où il affirme (en paraphrasant) souhaiter que ses œuvres interrogent le lecteur afin que celui-ci soit actif, fasse des recherches et non pas qu’il soit passif avec un récit tout frais, servi sur un plateau d’argent. Pour le coup, le pari est réussi dans la mesure où mon premier réflexe après avoir terminé ma lecture, a été d’aller chercher les origines du conflit au Darfour, m’instruire sur les différents peuples et la géographie de cette région du continent que je ne connais pas. Cela étant dit, lorsqu’on lit pour se détendre, ce genre de roman peut vite lasser et pousser le lecteur à l’abandonner puisqu’on est dans une optique de « détente » et non pas de « réflexion ». Je le recommanderai donc plutôt à ceux qui sont curieux et qui s’interrogent sur ce qui se passe au Soudan, surtout si vous êtes motivés pour partir à la recherche d’informations complémentaires. Pour ceux qui souhaitent juste passer un bon moment de lecture, passez votre chemin.
Je vais donc m’arrêter là. Le livre est disponible ici. On se retrouve bientôt pour de nouvelles aventures. Dans l’intervalle, prenez soin de vous.
Bisous.
P.S. Ci-dessous deux interviews de l’auteur que j’ai trouvé intéressantes à lire.
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