Le livre et l’auteure
Années 2000. Jende Jonga avait quitté son Cameroun natal pour les Etats-Unis d’Amérique en espérant y bâtir une vie meilleure. Grâce à sa débrouillardise, il parvient à faire venir Neni, sa femme et Liomi, leur fils. Ainsi réunis, la petite famille s’autorisera enfin à rêver malgré l’incertitude du lendemain. Cependant, les rêves ne demeurent parfois que cela, des chimères qui se dissipent à la lumière crue du jour qui se lève, avec un réveil qui peut s’avérer brutal…
Pages : 501
Éditions : Pocket (publication initiale aux éditions Belfond)
Imbolo Mbue est une romancière née en 1982 à Limbé, dans le Sud-Ouest du Cameroun, avant d’immigrer aux États-Unis d’Amérique en 1998 pour ses études. Voici venir les rêveurs (Behold the Dreamers en VO), son premier roman, voit le jour en 2016. Il remporte en 2017 le PEN/Faulkner Award et le Blue Metropolis Words to Change Award. Imbolo Mbue vit aujourd’hui à Manhattan et son deuxième roman Puissions-nous vivre longtemps (How Beautiful We Were en VO) a été publié l’année dernière (2021) (sources multiples).
Mon ressenti
Très bon moment de lecture. La narration est faite à la troisième personne sur une soixantaine de chapitres couvrant l’ensemble de l’épopée de la famille Jonga aux USA. La plume est drôle tout en redevenant sérieuse lorsqu’il s’agissait de sujets plus difficiles telles que la condition des immigrés en situation irrégulière, la crainte de l’expulsion, les violences conjugales, la détresse psychologique ou encore les nombreuses sollicitations de la famille restée « au pays », pensant que parce que l’un des leurs avait pu se rendre de l’autre côté de l’Atlantique, la vie lui souriait.
Que dire si ce n’est qu’en tant qu’immigrée moi-même, plusieurs situations de Jende m’ont parlé et m’ont un peu renvoyé à mon vécu ? A quelques différences près évidemment. En effet, Jende arrive aux USA initialement de façon tout à fait légale grâce à un visa obtenu par loterie. Tout se passe bien sur la période couverte par ce visa mais lorsque l’heure du départ sonne, au lieu de repartir à Limbé, sa ville natale au Cameroun, il décide de demeurer sur le sol Américain, à New York, en situation irrégulière et de tenter de réaliser son rêve Américain, d’autant plus que sa femme Neni l’avait rejoint grâce à un visa étudiant, accompagnée de leur fils Liomi. Ainsi, commence pour lui un long périple ayant pour but l’obtention de papiers officiels mais pour cela, il faut avoir un travail sérieux pour lequel une situation régulière est requise : c’est le chien qui se mord la queue…
Par chance (ou plutôt, grâce à son cousin avocat Winston), il décroche un emploi de chauffeur auprès de Clark Edwards, un magnat de la finance à Wall Street (sans forcément lui dire complètement sa situation) ; emploi dont les retombées atteindront jusqu’à sa femme et son fils, en dehors même du confort financier qu’il leur apportera au départ. Cependant, la vie étant ce qu’elle est, même les bonnes choses finissent par s’arrêter, surtout à l’approche de la crise de subprimes, crise financière majeure qui secouera les USA (et le monde d’ailleurs) en ces années 2007-2008.
Ainsi, à travers les aventures de la famille Jonga, l’on découvre ce que c’est que d’arriver dans un pays à la culture complètement différente de la sienne, le contraste et la violence que cela peut représenter pour des personnes ayant connu une certaine vie en collectivité, se retrouvant seules, à devoir gérer leur quotidien sans pouvoir compter sur une quelconque aide extérieure ; la longueur des procédures pour régulariser sa situation et leur coût parfois exorbitants ; le caractère impitoyable des institutions, qui contrairement à celles de leur pays natal, font respecter la loi, encore plus lorsqu’il s’agit d’immigrés ; les perceptions de ceux restés à Limbé, qui pensent que leurs proches vivant en Amérique étaient LA solution à tous leurs problèmes et qui ne manquaient pas de les solliciter dès qu’il y avait des soucis surtout financiers. Et enfin la question de l’identité : d’un côté les immigrés n’étaient pas vraiment Américains aux yeux de la loi et de l’autre, ils n’étaient plus vraiment Camerounais aux yeux de leurs proches.
Avec Neni, on assiste sans surprise à toute la complexité du système éducatif Américain où les efforts intellectuels seuls ne suffisent pas et où seul un portefeuille bien garni peut vous garantir d’aller loin. Mais aussi, au cours de ses aventures, notamment aux côtés de la famille Edwards, elle est témoin du fait que peu importe le chiffre de son compte en banque, parfois on pouvait être malheureux comme une pierre, notion incompréhensible pour cette jeune femme qui aspirait à de grandes réalisations et qui avait appris à faire avec ce qu’elle avait.
Toutefois, bien que la vie de la famille Jonga se déroule avec une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes, on assiste à des moments bien sympathiques comme ceux où Jende et/ou Neni sont rejoints par des personnes de leur communauté, pour échanger sur leur vie actuelle mais aussi pour évoquer leur vécu préalable à Limbé ou encore les différences entre eux et les Américains; les nombreuses expressions dérivées de l’argot Camerounais pour ponctuer leurs discussions ; leurs manifestations de joie à coups de chansons d’artistes Africains connus comme le chanteur Ivoirien Meiway ; les moments de complicité avec les enfants Edwards en manque d’affection parentale et dont ils ne comprenaient pas forcément les plaintes ou encore les moments de discussion autour de questions existentielles entre Jende et Clark lui-même.
En somme, c’est l’histoire d’une famille Camerounaise, immigrée aux USA, en situation irrégulière qui malgré les difficultés du quotidien, osait continuer à rêver à des lendemains meilleurs. C’est l’histoire de comment ils en sont arrivés là parce qu’ils étaient privés d’un avenir correct sur leur terre natale gangrenée par la corruption et une démocratie factice. C’est l’histoire de comment les actions des personnes fortunées de ce monde peuvent avoir un effet boule de neige avec des répercussions graves sur ceux en bas de l’échelle. C’est l’histoire de comment un foyer peut être ébranlé et un homme transformé par une situation qu’il ne contrôle plus. Mais c’est aussi une histoire faite d’amour, de joie, d’entraide et d’humanité. Même si le dénouement m’a laissé sur ma faim, je vous le recommande vivement. Il est disponible ici.
Je compte bien lire le second roman de Imbolo Mbue (cela commence à faire beaucoup d’œuvres à lire…). Je vous dis à bientôt pour un nouvel article. Dans l’intervalle, prenez soin de vous.
Bisous.