Le livre et l’autrice
Âgée de treize ans, alors qu’elle vivait une existence relativement simple aux côtés de ses parents et de son frère, Aku-nna devient subitement orpheline de père. Selon la tradition, elle est contrainte d’aller vivre dans le village natal de ce dernier, dans la concession de son oncle, à qui sa mère a été donnée comme épouse au décès de son frère. D’ailleurs, il sera bientôt l’heure d’aborder la question du mariage pour Aku-nna elle-même. Déboussolée par ce nouveau monde qui s’ouvre à elle, c’est auprès de Chike, son professeur d’école qu’elle trouvera un semblant de compréhension et de répit. Mais peut-on toujours échapper à la culture dont on est issu ?
Éditions : 10/18
Pages : 255
Je ne reviendrai pas sur la vie de Buchi Emecheta, déjà mentionnée dans mon article sur Citoyen de seconde zone, précédant celui-ci.
La Dot (The Bride Price en VO) a vu le jour en 1976.
Mon ressenti
Révoltée bis (pour ceux qui ne comprendraient pas, l’article précédent portait déjà sur une œuvre de Buchi Emecheta qui ne m’a pas laissé indifférente). Le récit est écrit en dix chapitres, là aussi à la troisième personne et met en scène Aku-nna et ses proches ainsi que Chike et les siens. Contrairement à Citoyen de seconde zone, il s’agit ici d’une fiction, sans lien apparent avec la vie de l’autrice.
Sur le fond, l’histoire débute un peu comme celle d’Adah dans Citoyen de seconde zone. Aku-nna vit à Lagos, va à l’école et a des projets pour son avenir. Malheureusement, la mort frappe à la porte de sa famille qui se retrouve sans pilier selon la tradition. Ce passage l’illustre bien : « Il en est ainsi au Nigeria, même encore aujourd’hui : quand on a perdu son père, on a perdu ses parents. Votre mère n’est qu’une femme, et les femmes sont censées n’avoir pas de caractère. Une famille sans père est une famille sans tête, une famille sans abri, une famille sans parent, en fait, une famille qui n’existe pas. Ce genre de traditions ne change pas beaucoup. » p. 41.
Il était donc urgent de redonner un cadre à cette famille et c’est ainsi qu’Aku-nna, Ma Blackie (sa mère) et Nna-ndo (son petit frère) se retrouvent sur le chemin d’Ibuza, commune natale de ses parents. Comme mentionné dans le résumé, Ma Blackie, qui n’a évidemment pas son mot à dire, est « donnée » comme épouse à Okonkwo, frère de son défunt mari. Celui-ci devient donc le tuteur légal de ses enfants et lorgne déjà sur la potentielle somme qu’il pourra tirer du mariage d’Aku-nna, ce qui lui permettrait d’accéder à une certaine position auprès de ses pairs.
Alors qu’Adah découvre un autre pays avec ses us et coutumes, c’est une plongée dans sa propre culture qu’effectue Aku-nna. Aller à l’école semble incongru pour une jeune femme en devenir. Mais en même temps, cela majore « sa valeur » pour de potentiels prétendants (Adah bis). Et la dot doit être payée pour éviter tout malheur.
Lorsqu’une jeune femme a ses menstruations, elle est considérée comme « impure » et doit observer certaines consignes. En cas d’infertilité, c’est vers la femme qu’on se tourne pour trouver des réponses (classique). Et enfin lorsque Chike entre en jeu, Aku-nna comprend également qu’il existe différentes classes au sein de sa culture et que certaines ne sont pas autorisées à se mélanger. Bien que Chike soit comme une bouffée d’air frais pour elle, j’ai trouvé leur rapprochement malaisant, surtout en raison de leur différence d’âge mais je n’en dirai pas plus pour ne pas spoiler l’œuvre.
En bref, il est dur (ou du moins je trouve cela dur) d’être une femme chez les Ibo/Igbo. Et je pense même avoir oublié certains éléments de la condition féminine décrits dans le récit. Buchi Emecheta avait déjà proposé un aperçu de sa culture dans Citoyen de seconde zone et là elle nous en montre encore plus.
Une femme n’a de valeur qu’au regard du montant de la dot qu’elle pourra rapporter ou encore en sa qualité d’épouse, de génitrice, de mère mais pas en tant qu’être humain tout court. D’un point de vue « moderne » encore une fois, on pourrait trouver tout cela « dépassé » mais ce poids social qui pèse sur la femme Ibo/Igbo n’a pas complètement disparu. Et j’irai plus loin en disant qu’il n’est pas rare d’entendre encore certains commentaires allant dans ce sens aujourd’hui, aussi bien au Nigeria qu’ailleurs sur le continent/dans le monde…
Dernier élément que l’on peut tirer du récit d’Aku-nna, c’est toujours ce conflit entre traditions et modernité, que l’on retrouve dans les sociétés post-coloniales, où les jeunes ne savent pas à quel Saint se vouer, côtoyant les Européens pour leur formation mais devant retourner auprès des leurs pour leur vie quotidienne…
En conclusion, je recommande. Mais à nouveau, préparez-vous à être secoué par ce que vous lirez. Surtout si c’est une première découverte du travail de Buchi Emecheta. Cela dit, malgré ces émotions contradictoires, il y a un truc dans la plume de l’autrice qui pousse à vouloir en savoir plus. J’aurais pu enchaîner sur Les enfants sont une bénédiction, une autre de ses célèbres œuvres mais après avoir lu la quatrième de couverture, j’ai décidé de donner un peu de répit à mon cœur et à mes nerfs. Mais je finirai par le lire.
Dans l’attente, on se retrouve prochainement pour un nouvel article. Prenez soin de vous.
Bisous.
P.S. comme pour le précédent article, il faudra tenter par vous-même de mettre la main sur un exemplaire de La Dot.



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