Le livre et l’auteur
Chaque matin avant son départ pour les champs de canne où elle use son corps, M’man Tine fait promettre à José de rester sage jusqu’à son retour. Mais, à peine avait-elle franchi le pas de sa porte que ce dernier retrouvait sa joyeuse bande de copains avec qui il faisait les quatre cents coups. Courir entre mornes et champs de canne ; cueillir des fruits sauvages et s’en régaler au point de ne plus pouvoir bouger ; raconter des bobards pour mener à bout leurs bêtises… tel était le quotidien de José jusqu’au jour où M’man Tine décida qu’il était temps pour lui d’aller à l’école. S’ensuivront pour lui de nombreux évènements qui ne manqueront pas de le questionner, le fasciner et dont il se fera le plaisir de nous conter chaque moment jusqu’à la fin.
Éditions : Présence Africaine
Pages : 313
Joseph Zobel est un romancier et poète Martiniquais né en 1915 à Rivière-Salée et décédé en 2006 à Alès dans le Sud de la France. Issu initialement d’un milieu modeste, qui lui inspirera d’ailleurs son œuvre La Rue Cases-Nègres, Joseph Zobel gravira progressivement les échelons après l’obtention de son baccalauréat jusqu’à la publication de sa première œuvre intitulée Les Jours Immobiles en 1946. La Rue Cases-Nègres verra le jour en 1950, et alors que les Éditions Albin Michel lui ferment la porte au nez, Alioune Diop, fondateur de Présence Africaine acceptera de lui donner sa chance. Le livre aura du succès aussi bien en France qu’à l’International notamment sur le Continent Africain.
La Rue Cases-Nègres recevra le prix Lange de l’Académie Française en 1954 et sera adapté à l’écran par Euzhan Palcy en 1982.
Mon ressenti
Après une année « moyenne » en lecture (peu de fortes émotions, de coups de cœur – voire pas du tout), j’ai été bien emballée par les aventures de José aux côtés de sa bande d’amis sous l’œil sévère mais tendre de M’man Tine. L’auteur emploie la première personne pour nous raconter les aventures de José, ce qui permet très vite de rentrer dans la peau du personnage et de voir le monde à travers ses yeux. L’histoire est écrite en trois parties sans chapitrage. La narration est fluide et l’on prend plaisir à suivre José dans ses bêtises, ses questionnements, sa candeur initiale qui fera place au fur et à mesure qu’il grandit à un esprit critique, analysant le monde qui l’entoure avec notamment ses diverses inégalités.
José aborde plusieurs sujets dans son récit mais s’il n’y en avait que quelques-uns à retenir, ce serait la difficulté de la vie liée essentiellement à la condition raciale d’une grande partie de la population Martiniquaise ; les comportements de « rejet de soi » qui peuvent en découler ; la force et le courage de ces mères/grands-mères qui se démènent pour assurer un avenir convenable à leurs enfants et la quasi-inaccessibilité au monde « intellectuel » pour la jeunesse Martiniquaise.
En effet, José se pose très vite la question de savoir pourquoi sa chère grand-mère M’man Tine doit autant travailler pour leur assurer un train de vie correct. Il la voit parcourir sentiers et chemins, pieds nus, sous la pluie, aux côtés de ses voisins pour aller cultiver des parcelles de champs de canne appartenant à des patrons Blancs que l’on ne voyait jamais. Malgré la soi-disant abolition de l’esclavage sur l’île, de nombreux Noirs se retrouvaient encore à aller labourer un champ de cannes pour un salaire misérable leur permettant à peine d’entretenir leur maison et se procurer de quoi se couvrir.
Par ailleurs, de nombreuses tâches n’étaient effectuées que par ces derniers (jardinier, homme à tout faire, femme de ménage) pendant que leurs employeurs – Blancs essentiellement, communément appelés Békés, mais aussi métisses – se la coulaient douce et faisaient autre chose de leur temps. Cela avait donc pour conséquence d’inciter certain.e.s à chercher une union avec un Blanc pour en quelque sorte améliorer leur statut social (bonjour le colorisme). A noter également une certaine tendance à renier sa communauté lorsque l’un d’entre eux commettait une erreur à coups de « il n’y a que les Nègres qui font ça », étant donné que par défaut, tout ce qui était « blanc » paraissait toujours soigné, propre, correct.
Enfin, cette population, en plus de n’être perçue que comme une main d’œuvre, est également objet de désir sans que celle-ci ne puisse exprimer son avis au risque de se voir « punir ». Femmes et hommes étaient utilisés pour satisfaire les désirs charnels de leurs maîtres/maîtresses et gare à eux s’ils/elles osaient s’y opposer. Au mieux, ils se feraient virer, au pire, certaines femmes blanches, ayant compris le « pouvoir » qui était le leur, pourraient les accabler d’une quelconque tentative de violence sexuelle, avec pour aboutissement des violences physiques voire la mort pour le jeune homme Noir qui aurait osé lui refuser ses ardeurs.
José, quant à lui réussira à échapper à une vie de dur labeur grâce à la persévérance de sa chère mamie M’man Tine (à leur surprise générale d’ailleurs) mais cela ne l’épargnera ni du fossé social qui pouvait exister entre lui et d’autres enfants issus de familles un peu plus aisées ni du racisme qui faisait penser à ses professeurs qu’un Noir ne pouvait par exemple produire un travail d’écriture aussi remarquable qu’il a pu le faire lorsque cela fut requis. Cela n’empêchera pas notre cher ami de faire de la littérature ses délices, en s’évadant dès que possible et en faisant profiter son entourage.
J’ai beaucoup parlé de José et de M’man Tine mais d’autres personnages comme M. Médouze, ses amis Jojo et Carmen (un homme s’il vous plaît) ne sont pas en reste. Ils interviennent à divers moments dans le récit mais apportent chacun une dimension différente à l’histoire que nous conte José. L’on ne voit que peu la mère de José mais même en étant relativement absente, elle soutient son fils sur le chemin de l’école et ne souhaite que le meilleur pour celui-ci.
En somme, ce fut un agréable moment de lecture. L’on se laisse bercer par la narration de José et l’on se prend d’affection pour lui surtout lorsqu’il évoque M’man Tine et toutes les autres femmes de sa vie. Sur un ton en apparence innocent, il dénonce plusieurs maux qui gangrènent la société Martiniquaise. Ce n’est pas étonnant que ce roman soit devenu un classique de la Littérature Antillaise. Il est disponible ici.
Cet article se termine ici. Je vous dis à bientôt pour une nouvelle publication. Dans l’intervalle, prenez soin de vous.
A bientôt, bisous.