Le livre et l’auteur
Janvier 1996. Profitant de l’absence de leur père, quatre frères : Ikenna, Boja, Benjamin et Obembe se rendent au fleuve interdit l’Omi-Ala pour pêcher. Au retour, ils tombent sur Abulu, le fou du village, qui leur fait une sombre prédiction : Ikenna, l’aîné finira assassiné par l’un de ses frères. Ces frères auraient pu se dire qu’il n’y avait aucun crédit à accorder aux propos d’un personnage ayant visiblement des troubles mentaux mais, Abulu, en plus d’être craint pour sa folie, avait la troublante réputation de lancer des prophéties se réalisant tôt ou tard… Ses dires imprègnent les esprits et seront la cause d’un enchaînement d’évènements menant jusqu’au dénouement final…
Pages : 298
Éditions : Éditions de l’Olivier
Chigozie Obioma est un jeune auteur Nigérian né en 1986 à Akure. Après des études supérieures à Chypre où il obtient une bourse et un poste d’enseignant, sa vie change après la publication de son œuvre Les Pêcheurs (The Fishermen en VO) en 2015, pour lequel il est finaliste du Prix Booker. Sa deuxième œuvre La Prière des oiseaux (An orchestra of Minorities en VO) voit le jour en 2019 et reçoit également un accueil très salué avec une place parmi les finalistes du Prix Booker.
Chigozie Obioma vit aujourd’hui aux USA où il enseigne la Littérature Africaine à l’Université du Nebraska à Lincoln (Sources : Babelio, Wikipédia).
Mon ressenti
Captivant. Haletant. Dérangeant. Brillant. Oui, rien que ça. C’est Benjamin, le troisième frère qui s’occupe de la narration avec de façon intermittente un subtil voyage dans le temps pour situer le contexte ; associé à une description plutôt animalière mais très juste de sa fratrie, le tout dans un Nigéria des années 90 secoué par un climat politique instable. La plume de l’auteur est précise, poétique mais aussi tranchante et ne vous laisse que peu de répit. Quelques phrases en Yoruba et en Igbo sont insérées dans le texte, rendant le tout encore plus vivant.
Bien que la quatrième de couverture ait mentionné le drame qui viendra diviser la famille Agwu, l’on ne le voit arriver que vraiment au dernier moment, et encore l’effet de surprise est assez magistral dans la mesure où cela va au-delà de ce l’on attendait. Pour éviter tout spoil, je ne vais pas trop m’épancher sur l’histoire dans cet article mais je vais plutôt parler des notions que soulève le récit de Chigozie Obioma.
En effet, la première question qui se pose lorsque l’on plonge dans l’histoire de ces quatre frères, c’est celle de la fatalité/destinée. Est-ce parce qu’il vous est prédit quelque chose par rapport à votre futur que cela se passera forcément sans que vous n’ayez rien à y faire ou sont-ce les actions menées en sachant ce qui vous attend qui finalement, précipitent la destinée funeste qui vous a été prédite ? Ici, nous partons d’une fratrie plutôt unie, qui du jour au lendemain commence à se diviser, surtout en conséquence de l’éloignement de l’aîné qui préfère se méfier de ses frères, le message d’Abulu ayant infiltré et corrompu son esprit. Mais au lieu de calmer le jeu, cette attitude d’Ikenna ne fera que mettre de l’huile sur le feu jusqu’à ce que la mort ne fasse irruption dans cette famille, parfait exemple de comment nos projections mentales finissent par créer notre réalité.
Puis une fois le drame passé, l’autre question qui se pose est celle de son retentissement sur la cellule familiale et de son vécu par chacun des membres. Certains voudront se venger, entraînant encore plus la fratrie dans un engrenage de haine et de division tandis que le choc est si violent pour une mère perdant sa progéniture qu’elle développera des troubles mentaux, sujet tabou dans cette société où la superstition, le poids des croyances et surtout les apparences pèsent beaucoup.
Et alors que l’on pense que la situation s’arrêtera là, l’auteur enfonce encore un peu plus le clou en poussant jusqu’au bout le scénario de l’horreur, lorsque envahi par la haine, l’âge ne représente plus qu’un chiffre et n’empêche pas qui veut de mener à bout ses actions. J’ai beaucoup apprécié la façon dont la psychologie des personnages était décrite, allant du patriarche avec son caractère tout-puissant à l’ensemble des membres de la fratrie Agwu : Ikenna et Boja sommés de jouer leur rôle d’aînés ; Benjamin et Obembe plutôt suiveurs mais sachant prendre les devants quand c’était nécessaire ; enfin David et Nkem plus accrochés à leur mère et ne comprenant pas encore l’ampleur de ce qui arrivait à leur foyer.
J’ai beaucoup apprécié l’ambiance mêlant l’écriture comme un conte à celle d’un thriller au suspense insoutenable que l’auteur a réussi à retranscrire dans son œuvre. Puis aucun élément ne paraissait superflu dans la construction de l’histoire ; même les éléments contextuels tels que le climat politique ou la vie du quartier de la famille Agwu, ont servi pour tisser la toile de fond sur laquelle évoluait la fratrie avant mais aussi après le drame, le tout formant un ensemble logique. Bref, je ne pense pas disposer ce jour de plus de mots pour exprimer la vive impression que ce roman m’aura laissé. Je vais d’ailleurs probablement le relire pour mieux m’en imprégner.
En somme, lisez-le. Voilà, c’est tout ce que j’avais à dire. Il est disponible ici. Une fois que ce sera fait, venez qu’on en discute. Je compte bien lire le second roman de Chigozie Obioma, qui a lui aussi été plutôt salué à sa sortie.
Je vous dis à bientôt pour un nouvel article. Dans l’intervalle, prenez soin de vous.
Bisous.