Le livre et l’autrice
An 2024. Dans une petite ville près du Comté de Los Angeles, la réalité fait penser à un film d’horreur : l’insécurité règne ; les habitants des différents quartiers sont obligés de se protéger derrière des murs et de sortir en groupes armés ; les denrées de première nécessité coûtent une fortune ; vols et agressions en tout genre se multiplient. Dans ce chaos, certains essaient encore de vivre normalement tandis que d’autres ressentent l’imminence de l’effondrement de leur société. Lauren Olamina, fille du révérend Olamina fait partie de la seconde catégorie. Sous la forme d’un journal et en même temps qu’elle essaie de survivre, elle nous entraîne dans ses réflexions et dans la rédaction d’une œuvre qu’elle nomme « Semence de la terre : le livre des vivants ».
Éditions : Au diable vauvert Collection Les Poches du Diable
Pages : 368
Octavia Estelle Butler est une écrivaine Afro-américaine née en 1947 et décédée en 2006 aux États-Unis. Orpheline de père, elle sera élevée par sa mère et sa grand-mère dans un contexte social marqué par le racisme et la précarité. Passionnée de lecture, elle commencera à écrire dès l’âge de dix ans mais ne pourra vivre de sa plume qu’à partir de 1978.
Octavia E. Butler se fait connaître en 1979 avec la publication de Liens de sang (Kindred en VO). Suivront d’autres œuvres pour lesquelles elle remportera deux fois le Prix Hugo de la nouvelle et le Prix Nebula. La Parabole du semeur (Parabole of the sower en VO), paru en 1994 et sa suite La Parabole des talents (Parabole of the Talents) paru en 1999 font partie de ces œuvres prisées.
Son décès survient brutalement en 2006 mais elle demeure une figure majeure de la littérature Afro-américaine d’anticipation/science-fiction. (Sources : Wikipédia, quatrième de couverture).
Mon ressenti
Waouh. Cela faisait longtemps qu’un livre ne m’avait fait un effet pareil. Le récit est étalé sur trois ans, de 2024 à 2027. Il est rédigé sous la forme d’un journal de bord, celui de Lauren Olamina. L’utilisation de la première personne permet une expérience immersive dans le quotidien de cette jeune fille qui a l’air d’en savoir déjà trop pour son âge. Le ton est franc, direct et fait parfois froid dans le dos. Autour d’elle, l’on retrouve sa famille recomposée (père, belle-mère, quatre petits-frères) et un voisinage fait de personnes d’âges divers, essayant tant bien que mal de vivre dans un monde qui semble en chute libre (TW violences physiques, mort, viol) .
Sur le fond, c’est bien de cela qu’il s’agit. La description d’un monde (ou du moins d’une Amérique) qui s’effondre avec des humains laissés à eux-mêmes par un gouvernement qui ne semble plus se préoccuper du bien-être de ses citoyens. Le marché de l’emploi n’a plus assez d’offres pour satisfaire tout le monde. Et lorsque vous trouviez un emploi, la rémunération ne se faisait pas toujours en valeur numérique mais plutôt en nature (couvert et gîte) ou alors vous tombiez sur un employeur aux tendances esclavagistes.
Le désespoir consécutif à cette situation poussait donc à la délinquance et à la violence les uns envers les autres. L’instruction n’était plus ce qu’elle a été et peu de gens savaient encore lire et écrire. Le sexe était débridé sans forcément être protégé et de jeunes femmes se retrouvaient enceintes parfois mineures. S’ajoutait à cela la circulation de diverses drogues dont une nouvelle sur le marché rendant ses consommateurs accros au spectacle qu’offre un incendie, faisant d’eux de vrais pyromanes. Et dans ce contexte, il n’y avait pas d’autres moyens que de vivre permanemment sur ses gardes avec des armes à portée de main ; un sac de survie au cas où les murs qui vous protégeaient tombaient et qu’il fallait fuir le plus loin possible.
Bref, personne n’a envie de vivre un cauchemar pareil. Et pourtant c’est ce que Lauren décrit dans son journal. Son quotidien, relativement « rose » par rapport à celui d’autres concitoyens. Et malgré l’horreur de la situation, il y a une part indéniable d’espoir qui se dégage de ses dires. Fille de pasteur, atteinte d’hyper-empathie, elle n’adhère pas complètement à la vision classique de la religion et de Dieu. Pour elle, certaines idées (jusqu’à la conception de Dieu) méritent d’être repensées, façonnées pour s’adapter à leur nouvel environnement. Et elle n’arrête pas d’ailleurs de le dire, comme cet extrait dès le premier chapitre :
« Tout ce que tu touches, tu le changes. Tout ce que tu changes, te change. La seule vérité permanente est le Changement. Dieu est Changement. » p. 7.
A travers la quête de Lauren vers de meilleurs horizons, l’autrice développe les thèmes d’entraide, de partage, de soutien mutuel, d’humanité et de possibles lendemains meilleurs si on y travaille en dépit d’un présent chaotique. Quelques détails m’ont cependant gêné. En premier, le syndrome d’hyper-empathie de Lauren. Disons qu’en tant que professionnelle de la santé, je ne définirai pas ce que vit Lauren comme de « l’empathie » mais c’est probablement une déformation professionnelle. Et deuxième élément m’ayant perturbé, les différences d’âge dans les relations amoureuses de certains protagonistes. Mais bon, je suppose que cela fait partie du tableau de cette société qui n’a plus vraiment de « codes ».
En somme, je recommande mais à un public vraiment averti. L’ambiance générale est lourde, angoissante. Et pourtant c’est tellement bien écrit et porteur d’espoir qu’on a envie de continuer à tourner les pages ou à y revenir après une pause pour savoir le fin mot de l’histoire. Je me lancerai dans la suite une fois que je serai remise de celui-ci. Il est disponible ici.
C’est la fin de cette revue. Je vous dis à bientôt pour un nouvel article. Dans l’intervalle, prenez soin de vous.
Bisous.



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