Le cartographe des absences – Mia Couto

Le livre et l’auteur

Mars 2019. Poète et professeur de littérature à Maputo, Diogo Santiago est invité dans sa ville natale Beira pour recevoir un prix. Il y fera la connaissance de Liana Campos, petite-fille d’un ancien officier de la police coloniale Portugaise, à la recherche de son passé. Cette rencontre réveillera de vieux fantômes chez le poète dont le père avait été emprisonné par cette même police. À eux deux, en un court laps de temps, ils tenteront de retracer leur histoire individuelle, marquée à divers degrés par l’occupation coloniale et sa violence, le racisme, les secrets de famille et les luttes de résistance avant que le cyclone annoncé dans la région ne vienne tout réduire en ruines.

Éditions : Métailié

Pages : 351

Mia Couto, de son identité complète Antonio Emilio Leite Couto, est un écrivain Mozambicain, d’expression Portugaise, né à Beira en juillet 1955. Après quelques années d’étude en médecine, il décide de se consacrer à la littérature, en commençant par poèmes avant de se lancer dans les récits et romans. Parallèlement, il s’engage en faveur de l’indépendance du pays.

Mia Couto est considéré comme l’un des auteurs Mozambicains les plus importants. Il a reçu plusieurs prix pour sa vaste bibliographie. Le Cartographe des absences, est sa dernière œuvre, parue en version originale en 2020, traduite en 2022. Elle est inspirée du vécu de l’auteur comme celui-ci l’annonce dans une note au début de l’œuvre. (Sources : quatrième de couverture, Wikipédia).

Mon ressenti

Une très belle découverte. La narration est faite à la première personne mais ce n’est pas toujours la même qui parle. En effet, comme de nombreuses fictions historiques, le passé et le présent se chevauchent et font intervenir divers personnages, à divers moments de leurs vies. Ainsi sur les vingt-trois chapitres, se mêlent principalement les extraits du journal de Diogo lui-même, les témoignages d’Adriano Santiago (son père), Sandro (son cousin), Dona Virginia (sa mère), Dona Laura (sa grand-mère paternelle) et de l’Inspecteur Oscar Campos (grand-père de Liana Campos).

D’autres personnages figurant dans le récit auront aussi leur mot à dire tels que les pères de la mission d’Inhaminga ou encore le régulo (chef traditionnel intégré dans la hiérarchie administrative coloniale) Capitine Fungai, son épouse Maniara et l’un de ses fils entre autres.

Les actions se déroulent entre 1973 (époque coloniale Portugaise) et 2019 (époque moderne). Elles prennent place à Beira sur la côte (2019) et à Inhaminga dans les terres, au sein de la province de Sofala (1973). Cela fait beaucoup d’éléments pour assimiler l’histoire mais comme je le disais sur Instagram, le caractère relativement exigeant de la lecture est contrebalancée par une plume exquise, tout en relief, qui vous happe et vous pousse à tourner les pages.

En ce qui concerne le fond, Mia Couto débute ce voyage dans le passé par un épisode méconnu (du moins pour ma part) de l’histoire du Mozambique, peu avant son indépendance. Celle du massacre d’Inhaminga. En effet, la résistance anticolonialiste commençait à prendre de l’ampleur dans la région avec des sabotages des voies ferrées et l’administration coloniale, n’ayant pas réellement trouvé de « coupables » a commencé à procéder à des arrestations et des exécutions arbitraires, dont il y eut un point culminant en 1973 à Inhaminga avec l’exposition des corps sur la place publique de la commune pour servir d’exemple.

Tout cela se faisait bien sûr dans le dos de l’opinion publique Portugaise. Mais certaines personnes arrivaient à s’informer et c’est Adriano Santiago, qui est envoyé sur le terrain, en tant que journaliste (drôle de journaliste d’ailleurs) par un de ses collègues, membre des « Taupes Blanches », un mouvement de résistance contre la colonisation qui soutenait par ailleurs le FRELIMO (Front de Libération du Mozambique).

A partir de là, Mia Couto lève progressivement le voile sur les passés de Diogo et de Liana, le père du premier ayant été arrêté par le grand-père maternel de la seconde, en sa qualité d’officier de la PIDE, Police d’Etat Portugaise.

Comme principaux thèmes mis en avant, en dehors de l’entreprise coloniale et de son caractère déshumanisant vis-à-vis des populations locales, on retrouve bien sûr le racisme répugnant des Portugais vivant près des locaux ; la non acceptation des couples mixtes à l’époque ; des dynamiques familiales défaillantes avec des mensonges, de l’adultère et le fait de se débarrasser en douce d’un membre pour ne pas avoir à affronter une certaine réalité ; l’hypocrisie de la religion ou du moins de certaines de ses figures et les dégâts de la guerre sur la psyché de ceux qui sont en première ligne, simples marionnettes d’autorités plus puissantes qui n’ont pas à faire la sale besogne elles-mêmes.

Le seul bémol que je soulignerai au travail remarquable de Mia Couto est peut-être l’inégalité de développement des personnages (en tout cas pour moi). On côtoie beaucoup Diogo, Adriano, Liana et Oscar Campos. Diogo et Adriano se ressemblent plus que Diogo ne le pense. Rêveurs sur les bords, ils espèrent changer le monde mais on a l’impression qu’il leur manque une certaine hargne pour cette mission. Liana, quant à elle est déterminée et pousse le poète dans ses retranchements pour que celui-ci voit enfin les choses en face, à son retour à Beira. Enfin Oscar Campos, au départ détestable, se révèlera sous une tout autre nature vers la fin du récit.

Bien que les femmes de la vie d’Adriano aient participé au récit (sa femme et sa mère), j’ai regretté qu’elles n’aient servi majoritairement qu’à approfondir son personnage à lui. Sandro, présenté initialement comme le cousin de Diogo aura aussi un destin hors du commun que j’aurais aimé suivre plus en détail. Maniara, la femme du chef traditionnel Capitine apporte un aperçu sur le vécu de la population locale à l’époque. Enfin, bien qu’on ait une explication sur l’histoire de la mère de Liana – quête qui animait essentiellement cette dernière – j’ai eu du mal à tout saisir et les nombreuses connexions entre ce beau monde, mises à nu au fur et à mesure de la lecture m’ont un peu perdu (même si cela a été fait de façon brillante).

En somme, lisez-le. Je compte le relire pour ma part, pour saisir encore plus les détails que je n’aurais pas vu au cours de cette première lecture. C’est profond, complexe, dur, triste et beau à la fois. Puis, bien sûr, on en ressort en ayant appris des choses (contexte historique + cyclone de 2019 qui a ravagé Beira). Le talent de Mia Couto est indéniable. Le Cartographe des absences est disponible ici.

Avant de partir, je vous laisse avec ce passage :

« La personne qui ressent le plus la guerre est celle qui n’a jamais mis d’uniforme : à savoir les femmes. Elles toutes, mères et épouses, se transforment en ombres le jour où leur fils et leurs maris se saisissent d’une arme. Mon capitaine répète inlassablement que la guerre est faite par des hommes. Des hommes avec un H majuscule (…) J’ai envie de crier : ici, vous êtes tous très virils, mais celui qui veut gagner une guerre ne doit pas toucher aux femmes. Vous maltraitez vos femmes à la maison et outragez celles des autres au dehors. Ici à Inhaminga, ça fait longtemps qu’on tue des femmes. Et des enfants. Ce n’est pas une guerre, tante Virginia. Nous ne sommes pas des soldats. Nous ne sommes que la gâchette vivante de donneurs d’ordres sans visage. » P. 127.

Je vous dis à bientôt pour un nouvel article. Bisous.



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A PROPOS

La lecture m’accompagne au quotidien depuis quasiment mon enfance. Passionnée par les auteurs Africains, Afro-descendants et des minorités en général, je ne m’empêche pas d’explorer d’autres horizons lorsque j’en ai envie ou lorsqu’on me le propose. Depuis plus de 5 ans, je partage mon ressenti et mes avis aussi bien par ici que sur Instagram, Facebook et Twitter. Bienvenue, j’espère que la visite vous plaira et n’hésitez pas à me suivre sur mes réseaux sociaux pour plus d’échanges autour des livres. Annette.

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