Le livre et l’auteur
Sur un mode épistolaire, Bernard Dadié raconte le premier voyage à Paris d’un dénommé Tanhoé Bertin. Paris ville de lumière, Paris la belle. Paris avec ses métros, ses habitants qui sont pressés par le temps et qui courent dans tous les sens. Paris avec ses belles femmes et la « french liberté ». Paris, Paris, Paris. Bien que fasciné par la capitale Française, c’est avec un ton cocasse que l’interlocuteur y observe la vie et la décortique ; pointant les différences mais aussi les similitudes entre les Parisiens et ses compatriotes ; se questionnant sur la culture Française et les comportements à adopter dans cette ville aussi belle qu’étrange.
En quelques pages, il s’agit d’un véritable voyage que nous offre l’auteur, destiné aussi bien aux Parisiens qu’au non-Parisiens, notamment ceux qui souhaitent découvrir celle qui est qualifiée de « plus belle ville du monde ».
Editions : Présence Africaine.
Pages : 221
Remarque: à l’époque où le livre est écrit, il était courant d’employer encore le terme « Nègre ». Aujourd’hui, cela n’est plus acceptable.
Je ne présenterai plus Bernard Dadié dont j’ai déjà parlé dans l’article sur Le Pagne Noir. La seule nouvelle à ajouter, malheureuse d’ailleurs est celle de son décès cette année à la date du 09 mars 2019 à l’âge de 103 ans. Il s’agit d’une grande perte pour la littérature Africaine. Qu’il repose en paix et que son œuvre puisse toucher les générations futures. Un Nègre à Paris a été publié en 1956.
Mon ressenti
J’ai littéralement adoré ma lecture. Je me suis beaucoup reconnue dans le personnage et j’ai bien rigolé par moments. Dès les premières pages, Bertin nous fait part de son excitation à l’idée de partir pour Paris. Aller à Paris c’est quelque chose et il s’agit d’un grand événement pour lui qui n’est pas « quelqu’un » (comprendre par-là que « ne va pas à Paris qui veut »). Gardant jalousement son billet aller-retour dans la poche, c’était comme s’il n’était plus logé à la même enseigne que ses autres compatriotes Ivoiriens ou Sénégalais (il vivait à Dakar). Le grand départ arrive et une fois sur place, Bertin se rend compte que la vie parisienne est bien différente de celle qu’il menait à Dakar.
Il découvre un peuple très ordonné, discipliné, se pressant par-ci, par-là, sur les trottoirs, dans les rues, entre les voitures. Les codes de communication entre hommes et femmes sont différents ; les pigeons sont nourris par certaines personnes et les animaux sont quasiment plus choyés que les êtres humains. Les Parisiens sont nombreux à fumer, hommes comme femmes, ils s’entassent dans les transports aux heures de pointes avec des visages dénués de sourire et peuvent vivre des années côte à côte dans un immeuble sans jamais s’adresser la parole chacun dans son monde et au nom du respect de l’espace d’autrui. Il s’interroge sur leur religion, l’absence de figure Noire parmi les prêtres et les Saints, leurs sacrements notamment le mariage et l’alliance, leurs monuments et bien plus encore, le tout en décortiquant l’histoire de cette ville qui fait rêver tant de personnes.
J’ai énormément adhéré à son discours et me suis retrouvée dans plusieurs de ses propos, questionnements et remarques. En effet, bien qu’ayant eu au cours de ma vie un aperçu de la vie en Occident via la télévision ou les récits de ma mère à la suite de ses voyages, je ne savais pas ce qu’il en était réellement avant de partir pour le France. Ainsi, j’ai moi-même été choquée de constater à quel point les gens fumaient, j’ai découvert les « pardons », « excusez-moi » pour se déplacer, la valeur de la ponctualité lorsque l’on veut se rendre quelque part en transports publics, l’individualisme permanent où un signe de simple sympathie (comme dire bonjour à un inconnu) peut paraitre incongru ou passer pour une invasion d’espace personnel, etc.
Il est souvent dit qu’il y a les Parisiens d’un côté et les autres habitants de la France de l’autre. Je n’ai pas assez vécu à Paris pour saisir les subtilités d’une telle séparation mais pour moi, certains traits évoqués dans ce récit comme étant « parisiens » se retrouvent aussi dans d’autres coins de la France. Le ton est plein d’humour, sans jamais « juger ». Il ne s’agit que de constats, parfois clichés et bien sûr tous les Parisiens ne sont pas pareils. Je trouve que c’est un bon résumé de tous les états d’âme par lesquels ont peut passer lorsque l’on se retrouve pour la première fois dans une ville si adulée, si dynamique, mais qui a également un fonctionnement bien à elle. Pour ceux vivant déjà à Paris ou qui y ont vécu, je pense que cela reste intéressant de le lire pour en quelque sorte renouveler le regard que l’on porte sur elle, de façon détendue et rigolote 😉
Pour terminer, voici quelques passages que j’ai bien aimé et qui j’espère vous donneront envie de vous plonger dans cette petite pépite de 200 pages.
« Plus je parcours cette ville, plus elle me déroute. Je n’arrive pas encore à me situer. Une ville imprenable qui vous prend, vous lamine et vous remet ensuite dans le circuit un label au cou, un label qui vous impose, vous situe, un brevet de civilité avec lequel vous pourrez partir dans le monde entier en gardant votre rang, le rang de Paris. Vous êtes ‘’Made in Paris’’. » p. 52
« Ce qu’il faut admirer chez ce peuple, c’est le souci de ne déranger personne, de donner à chacun sa place. Aussi suis-je seul à ma table. Prend-on une chaise près de moi, on ne manque jamais de poser la question rituelle : « est-elle occupée Monsieur ? ». Un peuple poli qui vous laisse poliment dans votre coin lorsque vous persistez à y rester. » p.76
« Qui n’aime pas le métro, n’aime pas Paris. Car Paris, respire, tousse, vomit, avale, résiste et se rebelle, par le métro qui est à la fois sa bouche, ses poumons, ses artères, ses veines, son cœur. » p. 89
« Le Parisien est atteint d’une maladie inguérissable : la maladie de la bougeotte. (…) Le Parisien est toujours à prendre le train, le bateau, l’avion, le bus, le métro, le train, le taxi, un être en perpétuel mouvement et prédisposé au somnambulisme. Or rares sont les gens qui marchent en dormant. Une existence vraiment abrutissante, s’il n’y avait les fêtes, les berges de la Seine, les squares, les bois, les bateaux-mouches, les bibliothèques et les librairies ». p. 215
Cet article se termine ici. Le livre est disponible par ici. On se dit à bientôt pour un nouvel article. D’ici là, prenez soin de vous.
Bisous.
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