Le livre et l’auteur
Années 2000, république du Congo. Le général Giap, chef des milices armées du nouveau chef de l’état auto-proclamé, venait de décréter quarante-huit heures de pillage général. Laokolé, jeune fille de seize ans, flanquée de son frère cadet Fofo et de sa mère, estropiée qu’elle tentait autant que faire se peut de sauver en la poussant à l’aide d’une brouette, dut rapidement abandonner le domicile familial pour ne pas tomber aux mains de ces brutes. Quelque part, à l’autre bout de la ville, les milices s’organisaient en petits groupes pour mener à bien leur mission, avec à leur tête leurs supposés meilleurs éléments dont Johnny, autobaptisé « Chien méchant ». Alors que les heures s’égrènent et que les civils périssent sous les atrocités des miliciens, Emmanuel Dongala nous emmène au plus près de l’action en nous faisant suivre chacun de ses deux individus, nous plongeant dans la dure réalité d’un peuple qui essaie de survivre tant bien que mal dans un monde parfois absurde.
Éditions : Le Serpent à plumes
Pages : 458
Je ne reviendrai pas sur la biographie de l’auteur que vous retrouverez dans mon article sur son œuvre Le Feu des origines. Johnny Chien méchant a été publié pour la première fois en 2002 aux éditions Le Serpent à plumes. Il s’agit du cinquième roman d’Emmanuel Dongala.
Mon ressenti
Captivant. Le récit est écrit en trente chapitres alternant les points de vue de Laokolé et de Johnny. Le ton est franc, direct et peut heurter par moments surtout lorsque Johnny s’adonne aux descriptions de ses exploits aussi bien en ce qui concernait la gent féminine que ses attaques militaires, les pillages et autres crimes dont il était coupable.
La plume d’Emmanuel Dongala est moins lyrique que dans Le Feu des origines dans la mesure où il s’agit de deux jeunes adolescents relatant leur quotidien avec sa particulière brutalité mais au lieu de rebuter, cela ne rend le récit qu’encore plus vivant. J’ai initialement eu du mal à rentrer dans l’histoire, encore une fois parce que marquée par la langue acérée et sans tabous de Birahima (vous aurez constaté qu’il m’a fait forte impression sur les récits de guerre où sont impliqués des enfants) mais à un moment, la mayonnaise a pris et je n’ai plus voulu le lâcher.
Laokolé, était une jeune et brillante lycéenne à l’avenir prometteur avant que la guerre sur fond de tribalisme n’éclate. Johnny quant à lui, a été moins chanceux. Il avait certes déjà mis pied dans une école mais n’avait pas pu aller aussi loin.
Alors que l’une vivait une existence relativement normale et s’autorisait à rêver malgré les conditions de vie difficiles ; l’autre victime sans le savoir de misère intellectuelle et de misère tout court se laissa embrigader par la propagande en faveur d’un groupe ethnique qui se disait lésé par celui au pouvoir.
Ainsi, pendant plusieurs jours puis semaines, on suit Laokolé accompagnée de son frère et de sa mère et on découvre avec elle à quel point l’opinion internationale est prompte à condamner les agissements des groupes armés mais est aux abonnés absents lorsque des civils menacés vont cogner aux portes de ses ambassades. On est témoin à travers ses yeux de la bonne volonté des organismes internationaux mais aussi de leur impuissance lorsque les choses s’enveniment vraiment. On ressent sa douleur et son incrédulité devant l’arrogance et l’absence de sympathie des « expatriés » immigrés vis-à-vis des populations locales lorsque la situation est critique et qu’ils seraient prêts à sauver leurs animaux de compagnie plutôt que de tendre la main à des personnes vraiment dans le besoin. Enfin on comprend sa colère face aux journalistes à sensation qui n’ont aucune considération pour la dignité de la personne humaine et qui souhaitent uniquement faire le « buzz ».
Là encore, ce n’est qu’une partie de tout ce qu’elle vivra. Et pourtant malgré toutes ces horreurs, Laokolé a la force de continuer à avancer et d’espérer des lendemains meilleurs parce que dans ce chaos, et comme dans beaucoup de situations semblant désespérées, une lueur apparaît au bout du tunnel, à laquelle on s’accroche. Et pour cela, on l’admire, on espère qu’elle survivra pour accomplir ses rêves.
Parallèlement, Johnny nous entraîne dans le tempo infernal de ses journées : pillage, meurtres arbitraires, viol, sexe et j’en passe. Comme le dit l’adage « ce sont les tonneaux vides qui font du bruit ». Cela ne pourrait mieux coller à la description de Johnny. Du peu de l’instruction qu’il possède, il tire une supposée supériorité au reste du monde qui ne serait pas apte à comprendre l’intellectuel qu’il est et qu’il sera encore plus une fois toute cette pagaille terminée.
Aussi détestable qu’il soit, ses raisonnements ne manquaient pas toujours de sens et l’on se rend finalement compte qu’il n’est qu’un produit d’une société inégale où les riches s’enrichissent et où les pauvres s’appauvrissent avec un retournement de situation où la victime devient le bourreau. Avec lui, on découvre la genèse du conflit armé qui fait tant d’innocentes victimes et je trouve que l’auteur a su mettre en évidence l’absurdité de la chose en choisissant de mettre en opposition deux ethnies dont les noms forment une anagramme (les « Mayi-Dogos » contre les « Dogo-Mayis »). Comme pour dire qu’il s’agit en fait du même peuple, qui pour des considérations économiques et de pouvoir d’un petit groupe, en arrive à se déchirer de l’intérieur.
Enfin, Johnny nous permet de percevoir les coulisses de ce qui est réellement fait des « aides humanitaires » envoyées dans les régions en guerre ainsi que de la réconciliation factice que les véritables auteurs de ces crimes mettent sur pied pour passer pour des dirigeants soucieux de leur peuple à l’international. Jusqu’au bout, il se croira le plus malin, ayant toute la légitimité de faire ce qu’il veut, obsédé par l’idée que les civils autour de lui n’étaient que des « Tchétchènes » déguisés en population pauvre mais capables de pires fourberies dès qu’il aurait le dos tourné, raison pour laquelle il les exterminait. Il était un intellectuel, pas un tueur, sûrement pas. Il n’aura que la fin qu’il mérite.
Bref, je vais m’arrêter ici. Il est à lire. Je n’aurai pas pu tout aborder en un article, tant le récit est riche. Soyez prêts bouillir de rage, à vous révolter et vous inquiéter pour les pauvres victimes mais aussi à presque rire de la bêtise de Johnny et à espérer des lendemains meilleurs pour les rescapés de toute cette folie humaine. Pour en savoir un peu plus sur ce qui se passe au Congo depuis de nombreuses années, vous serez servis. Il est disponible ici.
Je vous dis à bientôt pour un nouvel article. Dans l’intervalle, prenez soin de vous.
Bisous.
Une réflexion sur “Johnny chien méchant – Emmanuel Dongala”