Le livre et l’auteur
Asya Kazanci, jeune Turque, n’ayant pas connu son père mène une existence presque vide jusqu’au jour où débarque chez elle, Armanoush Tchakhmakhchian, « Amy », fille d’une Américaine et d’un Arménien, belle-fille de son oncle Mustafa Kazanci. Historiquement, les relations entre Arméniens et Turcs sont connues pour être assez explosives. Ainsi, l’arrivée d’Amy dans une famille Turque ne manque pas de provoquer des remous et l’amitié naissante entre les deux filles finira par lever le voile sur des secrets ayant miné les deux familles que rien ne semblait lier en apparence.
Format poche
Pages : 379
Editions 10/18
Elif Shafak a déjà été présentée dans l’article sur Soufi, mon Amour. La bâtarde d’Istanbul, best-seller en Turquie en 2006 est son second roman en anglais. Elle a été poursuivie en justice en vertu de l’article 301 du Code pénal turc pour humiliation de l’identité turque, de la République, des institutions ou organes d’État. Le procès se conclut par un non-lieu.
Mon ressenti
Par où commencer ? Autant j’ai apprécié Soufi, mon Amour de la même auteure, autant ce roman-ci n’a pas su réellement me conquérir. Les personnages sont assez… spéciaux et j’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire.
D’un côté, il y a la famille Kazanci dont fait partie Asya, qui n’est constituée quasiment que de femmes parce que la plupart des hommes de cette famille connaissaient tous pour une raison ou une autre une mort prématurée dans la fleur de l’âge. De l’autre côté, il y a Armanoush « Amy » Tchakhmakhchian, née d’une mère Américaine et d’un père Arménien mais très liée à son côté Arménien par sa grand-mère qui tient à ce que sa petite-fille demeure attachée aux traditions. C’est ainsi qu’elle ira en Turquie en douce, à la recherche de la maison de grand-mère qui y a vécu lorsqu’elle était plus jeune.
L’histoire commence par Zeliha, l’une des filles Kazanci, qui enceinte était partie se faire avorter. Mais par un phénomène qu’elle n’arrivera pas à s’expliquer, elle n’y arrivera pas et gardera sa grossesse. Elle donnera naissance à Asya, la « bâtarde » d’Istanbul puisqu’elle se refusera à révéler l’identité de son père. Asya grandira donc entourée de sa mère, de ses tantes, sa grand-mère et même de son arrière-grand-mère. La seule personne qu’elle ne connaitra pas est son oncle, Mustafa, envoyé à l’étranger par sa grand-mère pour espérer le protéger du mauvais œil qui semblait viser particulièrement les hommes Kazanci. Celui-ci, de l’autre côté de l’Atlantique était devenu le beau-père d’Amy. C’est donc naturellement qu’elle se fera héberger par la famille Kazanci lorsqu’elle séjournera à Istanbul, avec pour résultat le retour de Mustafa dans son pays natal avec la crainte quelque part d’y finir ses jours aussi tôt que le reste des hommes de sa famille…
Ma lecture fut plutôt périlleuse. J’ai trouvé l’histoire un peu « tordue », les personnages complexes et difficiles à cerner. Enfin l’écriture est assez particulière avec plusieurs références à la cuisine Turque et plusieurs recettes (qui certes avaient l’air appétissantes mais rallongeaient un peu le récit sans grand intérêt pour ma part). J’ai trouvé que le déroulement des événements trainait un peu en longueur et qu’il aurait été possible d’aller droit au but plus vite.
Cependant, il faut dire que j’y ai appris l’existence du conflit qu’il y a eu entre Turcs et Arméniens au XXe siècle. Le conflit a débuté dans le contexte de la première guerre mondiale en 1915, alors qu’existait encore l’Empire Ottoman. Il eut un génocide Arménien perpétré par les Turcs pour des raisons territoriales, ethniques, religieuses et politiques. Plus de 1 million d’Arméniens y ont perdu la vie. Elif Shafak nous plonge dans ce pan de l’histoire des Arméniens, des Turcs et nous permet d’en savoir un peu plus sur les raisons de ce conflit. Cette guerre, comme toutes les guerres provoqua beaucoup de déportations et comme souvent dans ce genre de situation, les autorités préférèrent garder le silence et ce n’est que plusieurs années plus tard que la responsabilité de la Turquie fut reconnue.
Ensuite, qui dit déportation et mouvements migratoires, dit mélange de populations et engendrement de nouvelles générations avec une mixité sur le plan ethnique et culturel. Et dans ces situations, il faut un savant mélange de communication, de compromis pour ne pas imposer sa culture à l’autre tout en réussissant à transmettre les deux richesses aux enfants de façon égale. De plus, il peut arriver que des individus d’une génération plus jeune tissent des relations alors que leurs familles respectives ne peuvent se voir en peinture pour des raisons de différences culturelles. Autant de raisons qui ont pour conséquences une certaine recherche d’identité de la part des enfants, une culpabilité vis-à-vis de l’un de leurs côtés ou tout simplement l’échec d’une relation dans laquelle les histoires familiales ont eu leur mot à dire.
Enfin, pour finir, il faut reconnaitre que Elif Shafak, d’une part bouscule les mentalités avec ses personnages féminins tels que Zeliha et Asya, et d’autre part pointe du doigt la place de l’homme par rapport à la femme dans la société Turque.
Dans une société majoritairement musulmane, Zeliha déjà n’est pas pratiquante, s’habille comme elle le souhaite et vit sa vie comme cela l’enchante malgré les reproches de sa mère. Asya, sa fille n’en fait pas moins, elle fume, et entretient une relation avec un homme déjà engagé. Même si je n’étais pas toujours en accord avec les comportements décrits dans le récit, je pense que le récit est écrit de manière à mettre sur le devant de la scène le fait que les femmes peuvent vivre de façon tout aussi « libre » que les hommes, ceci d’autant plus dans une société qui attend que ses femmes soient « soumises », ne se « dévoilent » pas et demeurent dans de petites cases bien définies. Cela casse aussi un peu l’hypocrisie qui peut régner dans une société qui se dit conservatrice mais où il y a finalement des hommes et des femmes qui sortent, consomment de l’alcool, ont des relations sexuelles hors mariage, ont recours à l’avortement, etc.
Mustafa, de son côté dès sa naissance, qui était d’ailleurs très attendue après 3 filles, fut considéré presque comme un petit prince à qui tous les droits et honneurs étaient réservés. Un tas de manœuvres fut mis en place pour le protéger de ce fameux mauvais sort qui semblait poursuivre les hommes Kazanci. Son père le « dressa » pour faire de lui un « vrai » homme, ce qui comme souvent lorsque l’on n’écoute pas ses enfants mais les façonne comme l’on souhaiterait qu’ils soient, aboutira à un mal-être profond de ce dernier. Ce n’est que lorsqu’il quittera le foyer familial qu’il trouvera un semblant de paix.
Tout ceci m’a fait penser à la notion de « masculinité toxique ». Il est tellement attendu ou approuvé socialement que les hommes soient comme ceci ou cela que certains se croient tout permis et le vivent bien tandis que d’autres, plus fragiles, blessés intérieurement par une éducation à la dure, deviennent abjects pour pallier leurs insécurités et les projettent sur des femmes qui semblent beaucoup plus sûres d’elles et qui les mettent en face de la réalité.
J’espère que dans les années à venir, nous parviendrons à un certain équilibre, autant pour que les femmes puissent vivre librement sans être pointées du doigt mais aussi pour que les hommes puissent être éduqués comme des êtres humains avec le droit d’avoir des sentiments, des « faiblesses », et dans le respect des femmes quelles qu’elles soient sans avoir à se sentir menacés par celles dites « trop sûres d’elles ».
Voilà, cet article se termine ici. En me baladant sur la toile, j’ai remarqué que nous n’étions pas nombreux à ne pas avoir été emportés par l’histoire mais bon, les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Pour moi et pour l’instant, c’est difficile de rivaliser avec Soufi, mon Amour mais je ne compte pas m’arrêter là en ce qui concerne les œuvres d’Elif Shafak. J’aime sa façon d’écrire 😊 Si vous voulez vous faire votre propre avis, le livre est disponible ici.
Je vous dis à bientôt pour un nouvel article. D’ici là, prenez soin de vous.
Bisous.
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