Le livre et l’auteur
Née à la suite du viol de sa mère Abena par un marin anglais, Tituba verra le jour sur l’ile de la Barbade. Après le décès de sa mère et de son père adoptif, elle sera prise sous l’aile de Man Yaya qui l’initiera à divers pouvoirs surnaturels. En grandissant, elle tombera amoureuse de John Indien, qu’elle épousera, mariage qui l’entrainera à Boston, au service du pasteur Parris. Ce dernier, figure fervente du Christianisme sera pour beaucoup responsable de son arrestation en 1692 au moment du fameux procès des sorcières de Salem. L’histoire de Tituba semble s’arrêter là. C’était sans compter Maryse Condé qui décide de la reprendre, de la faire sienne et de donner une autre fin à son vécu.
Editions : Folio
Pages : 279
Maryse Condé a déjà été présentée dans mes articles sur Ségou qui sont disponibles ici et là. Moi, Tituba sorcière parait vers la fin des années 80. Elle remportera pour ce roman le Grand Prix littéraire de la Femme en France (1987) et deux distinctions aux Etats-Unis : une de la Rockefeller Foundation et l’autre de la fondation Simon Guggenheim. (Sources : Wikipédia et Babelio).
Mon ressenti
Mon avis reste mitigé à la suite de cette lecture. D’un côté, j’y ai retrouvé le talent de grande écrivaine de Maryse Condé, qui sait manier ses mots et retrace la vie de Tituba tombée dans l’oubli ; d’un autre, j’ai eu du mal à éprouver de la sympathie pour la principale concernée. Mais ce récit rassemble quand même quelques points intéressants (plutôt liés d’ailleurs) que je vais développer de ce pas.
En premier lieu, l’enseignement des secrets et usages des éléments de la nature que Man Yaya dispensera à Tituba. Pour moi, cet enseignement, bien que bref et peu détaillé, fut important dans le récit dans la mesure où, cela démystifiait un peu ce que les gens peuvent penser des personnes maitrisant un certain savoir sur le monde dans lequel nous vivons, notamment sur sa partie « invisible ». En effet, dans notre réalité moderne, nous laissons peu de place à ce qui peut être appelé « surnaturel » ou « mystique ». Autant ce qui est appelé la « médecine traditionnelle » par les plantes est comprise, autant lorsqu’il s’agit des autres éléments de la nature (le vent, le feu, la pluie, communiquer avec les morts etc.) théoriquement « non maitrisables » selon la science pure et rationnelle, l’Homme prend peur et taxe de « sorcier/ère » toute personne semblant y tremper. Ce qui sera le cas de Tituba.
Tituba sera pointée du doigt comme étant une « sorcière » donc potentiellement dangereuse mais en même temps sera secrètement admirée parce qu’ayant des réponses à certaines questions et possédant un certain pouvoir. Elle s’en interrogera d’ailleurs, comme quoi, comment se fait-il que la faculté de soigner les gens, de communiquer avec les disparus ne puisse pas inspirer le respect, l’admiration mais puisse jeter l’opprobre sur le/la concerné(e) ? Cela met bien en évidence l’ambivalence de la nature humaine sur cette question de la « sorcellerie ». Tout ce qui est inconnu effraie les humains. Tout ce qui échappe à leur raison leur semble louche et ils n’osent pas prendre du recul pour essayer de voir les choses en dehors du prisme de la raison (ou de l’émotion primaire suscitée en eux qu’est la peur). C’est ce qui perdra toutes ces femmes accusées lors du procès de Salem en 1692 (en plus du contexte religieux strict de l’époque). La peur, encore et toujours.
La peur est un moteur particulier de l’existence humaine. Par la peur, il est facile de manipuler une foule. A cause de la peur, il peut arriver de trahir des personnes dont on se pensait proches. A cause de la peur, on peut torturer des gens. La peur paralyse mais elle peut aussi vous permettre de sortir d’un sale pétrin (cf le « combattre ou fuir » qui se déclenche dans notre cerveau devant un danger). Bref, cet article n’a pas pour sujet la peur, mais le vécu de Tituba dans le récit en pâtira jusqu’au dénouement final.
Pour en revenir à ce que Tituba apprendra de Man Yaya, j’ai également apprécié le fait qu’il soit mentionné que l’on peut maitriser les forces et éléments de la nature et les utiliser à condition d’avoir un certain respect pour eux. En effet, « (…) l’homme n’est pas un maître parcourant à cheval son royaume. (…) » p. 22. Pour que la nature vous le rende bien, vous aviez intérêt à ne pas abuser et ne pas lui manquer de respect. La « sanction » pouvait être collective (sécheresse, inondation par exemple) ou individuelle (par exemple se faire foudroyer lorsque l’on tue, on vole, qu’on utilise ses pouvoirs de façon inadaptée).
Cette façon de vivre s’intégrait dans le quotidien des peuples d’Afrique Noire à l’époque et les esclaves déportés vers les Caraïbes ont emporté avec eux cette discipline de vie. Malheureusement avec l’histoire, l’industrialisation qu’a connue l’humanité dans son évolution, ce respect presque craintif pour la nature a progressivement disparu et ce n’est que maintenant que nous nous rendons compte des conséquences des actes posés durant les dernières décennies… Maintenant il est trop tard pour revenir en arrière.
Enfin, passons au personnage même de Tituba. Alors, pour moi, elle a été l’archétype du « trop bonne, trop conne ». Désolée pour la rudesse de mes mots mais j’ai eu envie à plusieurs reprises de la secouer à travers mes pages pour lui faire prendre conscience que ces gens là (son mari, ses « employeurs ») ne l’apprécieraient jamais à sa juste valeur. C’est tout à son honneur de posséder une telle grandeur d’âme et de vouloir donner une seconde chance aux personnes qui la blessent mais à un moment il faut se protéger. Il faut savoir dire stop. Et c’est ce qui m’a manqué dans ce récit. Un peu plus de mordant, de caractère.
En somme, ce n’est ni un top, ni un flop. Je suis de plus en plus « fan » de Maryse Condé et j’ai hâte de lire un autre de ses romans mais Moi, Tituba sorcière ne figurera pas parmi mes favoris. Cependant, le roman a le mérite de donner une voix à Tituba qui à son époque a tout simplement été oubliée. De ce fait, je pense qu’il vaut la peine d’être lu puis ce sera à chacun de se faire son idée.
Pour se le procurer, c’est par ici. On se retrouve bientôt pour un nouvel article. D’ici là, prenez soin de vous.
Bisous.
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