Le livre et l’auteur
Fin du XVIIIe siècle, nous sommes à Ségou royaume florissant dans l’actuel Mali. Les Traoré, riches nobles Bambaras, aux coutumes et pratiques bien établies verront leur harmonie voler en éclats du jour au lendemain avec l’avancée de l’Islam dans la région, le racisme manifeste des peuples du Maghreb et les enlèvements destinés à nourrir le commerce des esclaves faisant rage sur la côte Ouest-Africaine. Tiékoro, Naba, Siga et Malobali, les quatre fils de Dousika Traoré seront emportés dans la tourmente et connaitront des destinées écartelées entre tragédies et bribes de bonheur.
Editions : Pocket. Publication initiale aux Editions Robert Laffont en 1985.
Pages : 500
Maryse Condé, de son nom de jeune fille Maryse Liliane Appoline Boucolon, auteure Guadeloupéenne est née à Pointe-à-Pitre le 11 février 1937. Après une enfance en Guadeloupe, elle s’envole pour Paris en 1950 où elle poursuivra ses études et découvrira tout un pan de l’histoire des Noirs avec notamment la cause de leur présence aux Antilles. C’est au cours de ces années que se développera son goût pour l’écriture (conte, nouvelles, essais). En 1958, Maryse Condé épousera le guinéen Mamadou Condé rencontré lors de ses études à La Sorbonne. Elle le rejoindra en Guinée en 1961. Leur mariage ne fera pas long feu et à partir de 1964, elle s’envolera seule pour le Ghana, puis le Sénégal et enfin la France dans les années 70.
Elle aura une vie professionnelle riche au cours de laquelle elle travaillera pour la maison d’éditions Présence Africaine, sera collaboratrice pour l’hebdomadaire Demain l’Afrique et animatrice radio pour RFI entre autres.
Sa carrière d’auteure qui n’était qu’à ses débuts lors de ses années estudiantines connaitra un grand succès à la suite de la publication d’œuvres comme Ségou (1984), Moi, Tituba sorcière (1986) et La Vie Scélérate (1988), les deux dernières lui ayant valu des prix de renom.
En 1993, Maryse Condé est la première femme à recevoir le prix Putterbaugh décerné aux Etats-Unis à un écrivain de langue française. Elle enseignera la littérature dans des universités Américaines notamment à Columbia et à New York pendant une vingtaine d’années. Ses œuvres sont lues dans le monde entier. Aujourd’hui, elle partage son temps entre la Guadeloupe et New York. En 2018, Maryse Condé a reçu le Prix Nobel alternatif de littérature. (Sources : Wikipédia et Babelio).
Mon ressenti
J’ai découvert Maryse Condé avec ce premier tome de l’histoire de Ségou. Quel talent, quelle plume. La narration vous prend littéralement aux tripes et bien que les malheurs s’abattent au fur et à mesure sur les protagonistes, il est quasi impossible de ne pas souhaiter y revenir pour connaitre le fin mot de l’histoire.
En effet, comme je le disais au début de cet article, alors que la famille Traoré semblait mener une existence paisible, le sort commencera progressivement à s’acharner sur elle. Dousika Traoré, le patriarche de la famille, membre du conseil royal et ami du Mansa (roi), verra ses relations avec la royauté trembler puis s’effondrer ; son fils aîné, Tiékoro qui était censé lui succéder prendra la voie de l’Islam, religion qui diabolise et réprimande les cultes et pratiques Bambaras ; Naba son second fils sera enlevé, converti de force au Christianisme, dépouillé de son identité et embarqué sur un bateau en direction de l’Amérique, Siga son troisième fils essaiera de tirer son épingle du jeu en allant vers le Maghreb mais sera confronté au racisme ambiant de son nouvel environnement et enfin Malobali, son dernier fils développera une sorte de goût pour la violence, pour l’extrême, n’ayant pas vraiment eu la chance d’avoir une enfance encadrée de ses deux parents le tout associé à un fond de jalousie envers son frère aîné Tiékoro.
A travers ces existences tantôt brisées, tantôt recollées, se poseront de nombreuses questions comme :
- Celle de l’identité : est-on Bambara avant d’être musulman ? Ou cesse-t-on d’être Bambara une fois que l’on se convertit ? Ou alors peut-on être les deux à la fois ? Pourquoi me donnent-ils un autre nom alors que je m’appelle Naba ?
- Celle du racisme décomplexé des Arabes envers les Noirs : pourquoi ne m’acceptent-ils pas alors que je ne leur ai rien fait ? D’autant plus que je me suis converti à leur religion ?
- Ou encore celle de la passion de la chair, qui devient épineuse lorsque l’on se rend compte que la religion à laquelle on s’est converti, met des règles autour de cette activité, voire la condamne et la réduit à une simple activité de procréation, menant à l’extrême à l’auto-flagellation lorsque l’individu se surprend à fantasmer et à désirer SON propre conjoint…
Par ailleurs, le contexte historique est dressé de façon à nous expliquer comment l’Islam a pu progressivement s’immiscer dans cette région de l’Afrique, avec pour moi, une grosse faille dans la solidarité entre les peuples s’y trouvant. En effet, il nous est fait part d’une rivalité ancestrale entre Peuls et Bambaras qui à mon avis a favorisé l’invasion de Ségou par El Hadj Omar, chef des Toucouleurs. Vous vous en rendrez peut-être compte mais Ségou, écrit par Maryse Condé se situe juste avant la naissance de Amadou Hampâté Bâ qui lui, dès sa naissance sera converti à l’Islam et verra El Hadj Omar comme un « grand Homme » (articles sur les mémoires de Amadou Hampâté Bâ disponibles ici et ici). C’est assez intéressant de remarquer à quel point il est vrai qu’une histoire a toujours deux versions, ici celle des vainqueurs et celle des vaincus.
Enfin, Ségou a été aussi pour moi une occasion de pointer du doigt à quel point les religions monothéistes pouvaient être intolérantes et se servir de Dieu/Allah pour mener à bien des entreprises purement humaines motivées par des raisons économiques, la soif de pouvoir et l’égo surdimensionné de certaines personnes. Alors qu’elles s’échinaient à vouloir imposer leur façon de faire, j’ai admiré la force et la sagesse des Bambaras pourtant qualifiés de « Féticheurs » à demeurer fidèles à leurs croyances et à se demander pourquoi chacun n’aurait tout simplement pas le droit de suivre la voie spirituelle/religieuse qui lui correspondait.
En somme, Ségou fut un carton plein pour moi. Je ne peux malheureusement pas tout dire dans un article tellement il s’agit d’une œuvre immense. Pour moi qui cherchais depuis longtemps à m’instruire sur l’histoire de la région de l’Afrique de l’Ouest et n’étant pas fan des livres d’histoire purement « théoriques », cette saga familiale se déroulant durant l’ère d’un des plus grands royaumes de la région m’aura permis d’en apprendre un peu plus sur le sujet. Bien sûr, la lecture fut difficile par moments mais il s’agit d’un récit que je relirai très probablement. Maryse Condé réussit à placer tout le monde et à vous faire voyager autant au Mali, que dans le Dahomey (actuel Bénin) ou encore en Angleterre sans vous perdre et il est à noter à la fin la présence de notes historiques et ethnographiques très intéressantes. J’ai hâte de lire ses autres écrits. En attendant, je ne peux que vous recommander de lire Ségou…
Voilà, cet article se termine ici. Le livre est disponible ici. Pour ceux qui l’ont déjà lu, n’hésitez pas à partager vos avis.
A bientôt pour un nouvel article. Prenez soin de vous.
Bisous.
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