Appelez-moi Cassandre – Marcial Gala

Le livre et l’auteur

« Je ne lui dirais pas « je viens vous sauver », car je sais que le destin de chacun d’entre nous est écrit dans le ciel en caractères indélébiles et qu’il n’y a pas d’échappatoire » … telles sont les paroles de Rauli, jeune Cubain, militaire en Angola. Ces paroles ne sont pas le fruit du hasard. Alors qu’il a à peine dix ans, Rauli comprend qu’il est Cassandre, princesse Troyenne au don de prophétie. Cependant, malgré sa capacité à voir l’avenir, Rauli vit dans le monde moderne et doit composer avec ses réalités, aussi belles qu’atroces.  

Avec un style lyrique mais franc, Marcial Gala nous fait voyager entre Cuba et l’Angola et nous livre une œuvre à la dualité marquante. Sensible et inhumaine, sombre et lumineuse, drôle et tragique, tout cela en même temps.

Éditions : Zulma numérique

Pages : 230

Marcial Gala est né à La Havane en 1965. Romancier, poète et architecte, il partage sa vie entre Buenos Aires et Cuba. Son œuvre La Cathédrale des Noirs lui a valu le Prix Alejo Carpentier. Appelez-moi Cassandre s’inscrit dans la lutte pour les droits des enfants et des personnes LGBTQIA+. (Source : Editions Zulma).

Mon ressenti

Secouée. L’histoire est racontée à la première personne et est divisée en plusieurs chapitres. Rauli vogue entre son passé et son présent, mêle le Français à l’Espagnol et habille son récit de multiples références littéraires, artistiques et musicales. C’est foisonnant mais cela n’empêche que le ton est dur, direct, violent voire choquant. Et en même temps, cela paraît tout à fait honnête dans la mesure où il n’y a pas besoin de prendre des pincettes pour évoquer une réalité qui est tout sauf tendre.

Rauli n’a que quatre ans lorsqu’il fait l’expérience de sa première vision. Puis à dix ans, il lit l’Iliade et découvre qu’il est Cassandre, princesse Troyenne, fille de Priam et d’Hécube. Cassandre, au don de prophétie mais maudite par Apollon à qui elle s’est refusée. Comme conséquence, bien qu’elle sache ce qu’il adviendra d’elle, de ses proches et de son royaume, personne ne la croit.

Mais là, nous ne sommes plus à l’époque des Grecs mais bien à l’époque moderne. Et Rauli est un jeune garçon. Jeune garçon enrôlé dans l’Armée Cubaine pour aller combattre en Angola. Sensible, rêveur, à la constitution malingre, presque féminine, blondinet aux yeux bleus, Rauli détonne dans le paysage constitué par ses pairs masculins. Comme pour enfoncer le clou, sa mère prendra l’habitude de l’habiller en fille en souvenir de sa sœur (la tante de Rauli) défunte.

Avec son récit, Rauli nous fait voir dès le départ le caractère inéluctable du destin de chacun. Et pourtant, il y a comme une beauté dans cette fatalité dans la mesure où ce dernier vit pleinement son existence et ne s’excuse pas de ce qu’il est. Il est habité par Cassandre et cela lui permet d’accepter les mauvais traitements dont il est victime de la part de ses camarades masculins.

A travers son histoire, il est question de transidentité, de ce que les minorités LGBTQIA+ vivent. Rauli est efféminé mais n’est pas homosexuel. D’une certaine façon il casse les codes et les stéréotypes que la société Cubaine (pas qu’elle à mon avis) peut avoir sur ce qu’est un homme, un hétérosexuel, un homosexuel, etc. Un homme ne peut pas être intéressé par la littérature, l’art et ne peut se montrer vulnérable. Il doit être sûr lui, faire rouler ses muscles, parler fort et exercer une activité professionnelle « d’homme ». S’il montre ne serait-ce qu’un peu de sensibilité et qui plus est, s’habille « en femme », c’est qu’il est faible et automatiquement attiré par les autres hommes… ce qui peut ne pas être le cas.

Par ailleurs, l’histoire de Rauli expose les contradictions qui peuvent habiter les hommes cis hétérosexuels qui ne peuvent s’empêcher parfois de ressentir du désir envers un autre homme – si ce dernier se confond presque avec une femme – , jusqu’à tenter quelque chose avec cet individu du même sexe et s’en vouloir après. S’en vouloir en ressentant du dégoût de soi mais en faisant payer le prix à l’objet de leur désir (ici l’autre homme). Ou combattre fermement cet élan en abreuvant l’autre de moqueries et en le maltraitant. C’est ainsi que Rauli sera surnommé Marylin Monroe par ses compagnons militaires qui en feront leur souffre-douleur.

Bien que subissant brimades et maltraitance, Rauli réussit tout de même à nous emmener dans une atmosphère éthérée, presque céleste avec ses nombreuses visions et la multitude de références à la mythologie Grecque, Yoruba (Shango, Obatala) et à la Santeria Cubaine en illustrant à quel point le monde que nous connaissons ne s’arrête pas uniquement à ce que nous voyons mais va bien au-delà.

En plus de constituer un pont presque « culturel » entre les deux pays avec ces nombreuses références mystiques et ésotériques, l’histoire de Rauli m’a permis d’en apprendre un peu plus sur le lien « réel » entre Cuba et l’Angola. En effet, une fois l’indépendance de l’Angola proclamée, la gouvernance du pays fut au cœur de disputes entre plusieurs groupes politiques. Cuba, sorte d’extension de l’URSS, soutenait un de ces groupes, face à un autre soutenu par les USA. L’Angola était donc devenue une sorte de délocalisation de la guerre froide en Afrique.

Enfin (parce qu’il faut que je m’arrête un jour), l’œuvre de Marcial Gala m’a permis d’identifier un biais dont je ne pensais pas être victime. Ayant pris l’habitude de lire des œuvres produites par des auteurs et autrices Noirs/Noires ; je m’attendais à suivre un personnage principal Noir. Je suis donc tombée des nues en comprenant que Rauli était tout sauf cela. Puis je me suis dit que l’auteur n’était pas obligé d’écrire sur des Noirs. Ou d’avoir des personnages principaux Noirs parce qu’il est lui-même Noir.

Ce biais est parfois la raison pour laquelle les œuvres produites par des personnes Noires peuvent ne pas apparaître comme « mainstream ». Parce qu’elles sont perçues par les personnes non-Noires comme étant « pour les Noirs ». Alors que l’écriture et la littérature sont – ou du moins devraient être – universelles. Donc note à moi-même (et aux personnes qui pourraient se reconnaitre dans mon histoire) : Marcial Gala a le droit d’écrire sur des personnages Noirs, Blancs, Jaunes, Rouges, peu importe ; tant que cela respecte l’identité, l’histoire et la culture de chacun. En tout cas moi je fus conquise par sa plume et je compte bien lire sa première œuvre.

Cet article ne fut pas facile à écrire. En effet, cela a été le type de lecture qui vous laisse comme déboussolé à la fin. Mon sentiment lorsque je suis arrivée à la dernière page fut « qu’est-ce que je fais de ma vie maintenant ? ». Ce livre fut assurément, pour l’instant, mon coup de cœur 2023. Une relecture s’impose. Je le recommande les yeux fermés. Mais attention aux âmes sensibles et aux personnes peu enclines envers les questions LGBTQIA+. Il est disponible ici.

En attendant le prochain article, je vous dis à bientôt. Prenez soin de vous.

Bisous.



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A PROPOS

La lecture m’accompagne au quotidien depuis quasiment mon enfance. Passionnée par les auteurs Africains, Afro-descendants et des minorités en général, je ne m’empêche pas d’explorer d’autres horizons lorsque j’en ai envie ou lorsqu’on me le propose. Depuis plus de 5 ans, je partage mon ressenti et mes avis aussi bien par ici que sur Instagram, Facebook et Twitter. Bienvenue, j’espère que la visite vous plaira et n’hésitez pas à me suivre sur mes réseaux sociaux pour plus d’échanges autour des livres. Annette.

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